Le film commence par un plan général où on voit se mouvoir dans la nature d’un paysage verdoyant le jeune Heduš ; on dirait un soldat camouflé d’un habillage vert ressemblant, par effet mimétique, à la couleur de la végétation dans laquelle il se mouvait. Puis on le voit en train de grimper d’immenses pipelines, un deuxième puis enfin un dernier, laborieusement, en rampant sur le ventre afin de pouvoir passer par-dessus pour gagner une vue sur la route. Il avait sous les bras, porté en bandoulière, un fusil mitrailleur, doté de jumelles, qui semblait réel. Il prend l'arme pour le pointer, tel un snipper sur les voitures de passage et il tire, à blanc, toutefois, tout en produisant un déclic et, en ayant la possibilité, par ailleurs, d’activer une option de tir en rafale. Tout en visant les véhicules de passage il reconnait son camarade Mára au volant d’une voiture, il accourt vers lui et se met eu travers de la route, lui barrant le chemin. Il lui demande de le prendre dans son véhicule. Il refuse. Heduš s’affale sur le capot et se met à plat ventre sur la carrosserie. Il insista tant et si bien que Mára décide, enfin, de prendre Heduš. Celui-ci avait un argument, plus ou moins convaincant : il avait du pèze , c’est utile durant un voyage qui va prend l’allure d’une aventure étonnante par-delà l’environnement quotidien, d’apparence, habituel, dans un pays qui est le leur et qu’il redécouvre par le biais des relations qu’ils tiennent avec les personnes de rencontre.
Avant de poursuivre leur périple, les deux garçons se débarrassent de leurs téléphones en les jetant dans un lac afin ne pas être tentés de les utiliser et, par ricochet, ils évitent ainsi de se faire repérer.
Lors d’une halte dans un sous-bois un homme, accompagné d’un chien, les accosta. Quand il voulut leur donner des conseils ils lui répliquèrent par des mots vulgaires en ayant ironisé à son propos avec insolence et en ayant proféré en sa direction des mots vulgaires. La personne s’en est allé offusquée par de telles réactions. Juché sur la branche d'un arbre Mára aperçut l’homme qui, il y a, à peine, un instant, leur donnait des leçons de morale, en train de noyer son chien dans le lac après avoir attaché autour du cou de l’animal deux tubes métalliques. « Oh ! l’enc…» cria-t-il en sautant de l’arbre et il courut à perdre haleine puis plongea dans l’eau et, enfin, il arriva, sans grande peine, à sauver le chien. Celui-ci va devenir le compagnon inséparable des deux compères.
Que ce soit à l’intérieur de la voiture ou à l’extérieur, on suivra avec aisance le déroulement captivant des scènes relatant les péripéties de l’histoire d’une randonnée exaltante.
La voiture roulait et la discussion allait bon train où s’y révélait la place du militaire, plus ou moins importante, dans la société ; on a su que le grand papa de Mára avait été promu plusieurs fois; « il avait ses grades bien cachés et constituaient bien un trésor » disait-il, fièrement. Engagé dans une faction de l’armée intégrée à l’Otan, des généraux de cette organisation armée transnationale ont même épaulé papy pour qu’il devienne ministre de la défense » … continua-t-il.
Aussi, sur le plan symbolique et suggestif, Heduš , habillé d’un manteau de camouflage et avec son arme-jouet qu’il portait tout le long du voyage, représentait, bien au-delà d’un narcissisme d’adolescent à vouloir garder une certaine contenance de maitrise de soi, une omniprésence de la sécurité d’ordre policier ou militaire dans l’accompagnement de l’activité citoyenne de jeunes et de moins jeunes… Tout aussi paradoxal, à la fois rassurant ou impressionnant mais, aussi, inquiétant, pour le commun des mortels, quand l’argument sécuritaire domine, implicitement, dans une opacité relative, déconcertante, les rapports humains, les contacts. Si la tutelle, se considérant comme telle, chargée de contrôle ne réussit pas à encadrer un jeune, tel ce fugueur, par exemple, celui-ci sera considéré, de fait, comme suspect.
Par une série de Flashs forwards, intercalés de scènes où on voit une ou deux mouches, apparaitre, en gros plan, sur l’opacité de quelque surface, le réalisateur va nous amener, progressivement, au dénouement de l’histoire de « Winter flies ».
Pourquoi les mouches ? Première explication : lorsqu’il y a du pourri, à l’odeur nauséabonde, dans un secteur, les mouches marquent leur présence. Les mouches apportent nuisance et malaise dans nos rapports innocents avec le monde : une grosse mouche qui tombe dans une tasse de café ou qui se pose sur un gâteau lors d’une rencontre enlève la saveur saine rayonnante de confiance dans les relations établies avec les choses et notre environnement humain proche en portant atteinte à un certain sens de la découverte des splendeurs ou de la décadence d'un monde…
Les deux jeunes continuent la route tout en exprimant leur désappointement vis-à-vis de la situation qu’ils vivent dans le pays dont ils sont originaires et affichent l’intention de quitter le territoire national, définitivement, en tonnant « …on s’engagera soldats dans la légion de France, on aura l’argent plein les poches. Et les femmes: ah pardi! à Paris ça doit être bien plus facile qu’ici ».
Les deux adolescents durant leur voyage ne cessent de répercuter, dans les bribes de leur dialogue, le discours machiste prédominant dans le milieu social où ils vivent par des propos vulgaires qui dévalorisent le rapport entre l’ homme et la femme et fait de celle-ci un objet sexuel absolu, fantasmant, d’une manière grossière, inconvenante, sur le rasage du maillot, par exemple…
Sur la route apparait une autostoppeuse quelle aubaine se disent-ils, l’occasion pour eux d’avoir une partenaire pour un rapport sexuel. La jeune femme hésite de monter dans la voiture. Heduš entreprend de la convaincre de prendre place à côté du jeune conducteur. La nuit venue : veillée autour d’un feu de camp. La fille Bára s’enfermera dans la voiture en compagnie du chien, non sans avoir téléphoné, au préalable à une connaissance…
Les deux compères, restés dehors dans le froid, se disputeront l’unique sac de couchage. Ils dormiront dans une position inconfortable. Mára paraitra comme un vers enserré dans sa chrysalide, quand son camarade restera attaché au sac… Le lendemain, près des cendres du feu de camp éteint, la lumière du jour les tire du sommeil. Leur réveil ne rappelle-t-il pas celui des papillons colorés venus pour un nouveau jour ? Un passage, une fois la télé allumée, par désœuvrement, au hasard, à la maison du grand père, abordera le thème de la migration des papillons… Ou, encore, cet éveil matinal n'évoque-t-il pas, pour chacun d’eux, la mouche qui revient à la vie et renait des cendres tombées d’une cigarette ? Mára mettra en évidence le phénomène en question devant la policière chargée de l'interroger... Mais on n’en est pas encore là. L’aventure continue.
Dans une cabane de forêt où ils font halte, l’ami de Bára les rejoint. On assiste à une rivalité qui s’instaure dans le couple. Paradoxalement, Bára utilise les mêmes moyens sexistes employés par son partenaire pour vouloir s’imposer ; mais la nature propre de la femme qu’elle représente, malgré elle, la rend vulnérable dans un rapport perverti par l’esprit machiste dominant. Les deux compères, retournés d’une pêche miraculeuse où ils avaient attrapé des poissons à mains nues en faisant le gué au milieu d’une rivière au cours torrentiel ont tout observé de la fenêtre, ils surgissent dans la pièce brusquement par surprise, brandissant l’arme en direction de l’intrus, simulant un tir, et Bára est ainsi arrachée de la liaison perverse et violente qui se profilait et dans laquelle elle aurait pu succomber…
Mais sur la route la fille demande à descendre de la voiture. « Je ne veux plus continuer la route avec vous ». Bára déclare vouloir vivre sa vie librement.
Après cela on voit les deux garçons en train de s’adonner à la masturbation (le terme en langue arabe plus approprié : je le traduis comme suit : "la discrète pratique" ) chacun de son côté. La caméra les prend suivant un plan rapproché, sous l'angle d'une prise de vue en plongée, limité, seulement, à leur portrait, en montrant l’expression trouble de leur visage jusqu’à ce qu’ils atteignent l’ultime phase orgastique. Le cinéaste réalise, ainsi, une scène rare d’expressivité, en insistant longuement sur « la discrète pratique », remettant en cause le préjugé négatif admis envers ce mode sexuel auquel se livrent les adolescents avec un regard tolérant, serein: ni monstration pornographique polluant les mentalités, ni violence sexuelle alimentant la haine : tout juste une évocation érotique mentale, furtive, qui transparait de leur respiration à peine entrecoupée, et de leurs yeux au regard perdu dans le vague , et du frémissement peaucier de leur figure tendue, quelque peu, accentué d’une contraction des lèvres entrouvertes jusqu’à pleine (auto) satisfaction propre à un acte sexuel entier accompli.
On reprend la route. Direction : la maison du grand père. Raison invoquée : dresser le chien.
Ils continuèrent le voyage dans la nuit sur une route déserte ; l’un s’endormit et celui qui conduisait tomba de sommeil. A ce moment-là on assiste à un moment surréaliste fantastique : alors que les deux garçons étaient endormis, la voiture comme téléguidée, continuait son petit bonhomme de chemin dans la nuit et les ramena jusqu’à la maison du grand-père. Comme si la fugue des deux adolescents s’inscrivait dans l’accomplissement de la destinée que les rapports familiaux et éducatifs avaient tracés dans l’affermissement de l’attachement filial à la personne aimante la plus communicative.
Mais voilà arrivés à la maison ils ne trouvent pas le grand père. Ils cherchent après lui mais en vain. Puis, soudainement, on entend le chien hurler à la mort le museau orienté dans une certaine direction en guise d’alerte où le papy de Mára se trouvait étendu, terrassé par une crise cardiaque, sur un chemin désert, non loin du lieu où il habite. Ils l’emmènent d’urgence à l’hôpital.
C’est au moment où un policier aidait un conducteur d’un semi-remorque à manœuvrer pour qu’il ait pu gagner, marche arrière, la route au niveau d’un croisement de chemins que Mára, comme jeune mineur seul au volant d’une voiture, se fit attraper, non sans tenter de fuir. Il est conduit au commissariat. C’est durant l’interrogatoire du jeune fugueur que l’apparition des mouches se fait plus présente. On résume en deux ou trois actes la séance consacrée à la question.
Acte 1 : la provocation : l’agent vocifère et prend à partie, brutalement, le jeune : le culpabilisant, avec un ton provocateur, brandissant le pull rose que la fille avait oublié dans la voiture, pour le traiter, en mimant un comportement efféminé, « tu es un travesti…un travesti, avoue-le! » Le jeune se compromet, indirectement, en bafouant, légèrement, des bribes paroles pour s’en défendre.
Acte 2 : la manipulation psychologique : c’est la femme policière qui s’en charge. Elle invite le jeune Mára à passer à table sans brutalité apparente. Elle partage avec le chérubin la même cigarette qu’ils fument à tour de rôle. Le mouvement de la caméra, montre qu’un fonctionnaire n’est pas exempt de tentation de dévoiement utilitariste et pervers : tout en se maintenant à son poste, à "faire durer le plaisir", le plus longtemps possible, dans un système figé prêtant le flanc à des rapports dévalorisants et dégradants.
Une grosse mouche, prise isolément, soudainement apparut, au moment où la policière fait croire au jeune qu’elle a téléphoné et qu’elle s’est renseignée (on notera l’existence d’une tendance à manipuler le renseignement, froidement, comme moyen de diversion et de torture morale): "il y a deux malades, enregistrés dans le même cas que celui de ton grand-père, qui ont été admis à l’hôpital ce jour-là; et, l’un d’eux est mort. » En entendant cela la jeune craque en larmes dans un moment intense d’émotion. Il se soumet et il commence à avouer, à débiter, comme des lapalissades : le nom de son grand père, celui de sa mère, le numéro de téléphone de celle-ci . …
Son compagnon, qui était descendu de la voiture, auparavant, avec le chien, se trouvait dehors; il organisa une diversion en ayant déclenché simultanément les alarmes des toutes les voitures, en stationnement, dans le parking du commissariat. Heduš, profitant de l’absence des deux policiers, alertés, sortis voir ce qui se passe, va libérer, en utilisant une échelle, son camarade Mára. Celui-ci s’évade par la fenêtre, non sans prendre les clés de la voiture, non sans réagir violemment à la provocation et à la manipulation dont il fut l’objet, en renversant le mobilier qui servait de bureau.
Ils reprennent la route avec un enthousiasme délirant, et des rires qui reflètent la pleine satisfaction. « Et les p... et le fric ?!» cria Heduš à l’adresse de son compagnon. « On en a que faire, rien à foutre ! » lui répondit Mára, en appuyant sur le champignon. « Retour au bercail ! »
La photographie a soutenu, admirablement, la réalisation du film par un cadrage rigoureux et des prises de vue d’un raffinement saisissant, intimement liés à l’action des personnages et aux situations diverses qu’ils vivaient.
Film fort expressif à caractère suggestif, ou encore, plus allusif que symbolique, qui nous ramène, d’une manière originale et authentique, sur les traces d’une évocation Kafkaïenne, à l’endroit des mouches, et rappelle, surtout, d’une manière particulière, la « Nouvelle Vague » de Prague. Avec « Winter flies » le cinéaste Olmo Omerzu a reçu le prix de la meilleure réalisation au prestigieux festival international de Karlovy Vary en 2018, reflétant la haute qualité du cinéma tchèque.
Programmé lors du festival culturel européen à Alger le film :« Les mouches d’hiver » a été projeté le 08 juillet 2021, à 18h30, à l’Institut Culturel Italien en présence de la Directrice du dit institut et de Madame l’ambassadrice de Tchéquie. La séance a été suivie d’un débat en présence de quelques cinéphiles. Affable et accueillante, la représentante de nationalité tchèque avait invité l’assistance à une collation sympathique. Rendez-vous pris pour d’autres rencontres, tout aussi engageantes, avec d’autres films, notamment, ceux-là qui sont liés au surréalisme ou à la nouvelle vague du cinéma de Prague. Merci beaucoup. Ciao.
Fouad Boukhalfa