Le ton a été donné dans une ambiance accueillante et conviviale, au grand plaisir des cinéphiles qui ont apprécié, hier, durant la soirée, à l'inauguration des journées du cinéma organisées en hommage à Ingmar Bergman , après le discours du Secrétaire Général du Ministère de la Culture et suite à l'allocution de Madame l'ambassadeur de Suède à Alger, la projection du film documentaire "Trespassing Bergman". Celui-ci relate le parcours du réalisateur de "Persona" au rythme d'un style, quelque peu passionné, sur la base d'expressions libres de témoignages de réalisateurs et d'actrices de renommée mondiale, de différents pays, filmés dans la résidence de Bergman, sur l'ile de fârö, combinés à des extraits de films attachants, ou culte , développés dans le sens d'une histoire chronologique. Les auteurs du film ont mis en valeur d'une manière méthodique la thématique (l'amour, la mort, la complexité "du rapport à autrui" liée à un contexte prédéterminé ...), l'art et la manière (humour et spiritualité, approches psychologiques et dimension tragique ...), l'évolution des conditions de travail du cinéaste suédois, sur le plan technique, notamment, qui a amené une relation de complicité avec le photographe, et enfin l'esprit d'équipe dont il faisait preuve (la mise en confiance de l'acteur...); tout en ayant apporté un éclairage sur certaines périodes de sa vie privée ou, même, intime: des images montrent des notes éparses, des dessins de petits cœurs alignés où chacun d'eux se rapporte à la marque d'une année précise ... La caméra s'attarde sur la bibliothèque qui fait, également, office de vidéothèque. On prend connaissance des films que l'auteur de "L'heure du loup", visionnait chaque jour... Autrement dit, Jane Magnusson Hynek Pallas et Fatima Varhos ont adopté, si je puis dire, la façon de faire de Ingmar Bergman pour réaliser le film qui lui a été consacré ... Tack! Hejdà! [
Voir un extrait du film: "Trespassing Bergman" suivant le lien suivant :https://youtu.be/tgQxPWqargQ ]
On aura confirmé, avec assurance, que l'identité de Ingmar Bergman, le jour de l’inauguration de la commémoration du centenaire de sa naissance, ne se limite pas, seulement, à un pays, à une nationalité, mais incarne une représentation symbolique plus vaste, plus étendue, bien au-delà des frontières de la Suède: elle reflète, aussi, l’activité cinéphile, qui, à partir de la cinémathèque, se développait dans les ciné-clubs, notamment ceux liés au mouvement de la jeunesse et citoyen ancré dans la vie de la cité, en Algérie, durant les années 70 et 80, notamment, où le débat forgeait la base de l’appréciation critique du cinéma. Aussi, dans ce domaine, les films d’Ingmar Bergman se prêtent très bien à l'échange et aux discussions* ils alimentent questions et réflexions autour de la signification réelle du rapport de l'individu à la réalité. Ainsi, en maitrisant le mouvement d'une caméra, par-delà les normes préétablies, figées, artificielles, l'auteur de "Cris et chuchotements »", remet en question certains clichés, soit avec un humour imperceptible soit avec un dimension tragique manifeste, par des prises de vues novatrices, apparentées à un art surréaliste, parfois, et des passages sublimes surprenants , où il met en gros plan les visages, les gestes, les réactions, d'une personne qui est amenée, ainsi, progressivement, à faire son introspection, à examiner la relation véritable qu'elle entretient avec ses semblables et son environnement. Des pulsions intérieures, sont ramenées à la lumière au fur et à mesure que le personnage aura parlé, ou aura agi, dans le silence parfois, en ayant évolué mentalement, dans le déchirement et la douleur, immanquablement, ébranlé par le biais d'une prise de conscience, qui aura mis en cause l'aliénation d’une individualité qui se laissait aller dans les plaisirs factices, dans les croyances chargées de préjugés, dans une vie qui manquait, cruellement, d'authenticité.
Voir un extrait du film suivant le lien https://youtu.be/qTaoAIsFWuU
ll n’y a pas débat après les projections durant les journées cinématographiques "Ingmar Bergman". Mais j’entends déjà quelqu’un dire : « Si j'étais dans un ciné-club, ( celui que j'avais animé durant tant d’années…) et, que j’avais à choisir les premiers films à débattre, ce seraient : Persona ( vu le mercredi) Fanny and Alexander (que je viens de voir ce vendredi),"Saraband", ou encore "les fraises sauvages" que j'ai revu le jeudi présenté à la cinémathèque en une copie ancienne, quelque peu détériorée, avec quelques interruptions de la projection....Et ceux qui sont venus sont restés à voir le film et à l'apprécier jusqu'au bout. »
Notre cinéphile inspiré continue ainsi son commentaire : « Par contre, si j’ai à écrire, comme un message de reconnaissance personnel, un scénario genre "intimiste", dans le style de Bergman le voici :
« A la veille de l’inauguration du 30 septembre, on aura entamé, à peine, un dialogue au sujet d’Ingmar Bergman et le mouvement de ciné-club, avec une personne qui participe à l’organisation de l'évènement. Lorsque celle-ci indiqua à son interlocuteur qu'il n'est pas invité à la cérémonie d’ouverture officielle. Mais, voilà qu'il se présente, quand même, pour la séance "Bergman interdit». Silence. On tourne:
"Après une longue attente, à faire les cents pas, à flâner dans les environs, on est introduit à la salle, en tant que partie du public. Alors que se déroulait la collation entre les invités officiels.
Puis, on se sent, imperceptiblement, enveloppé par un esprit d'apaisement, comme si on était projeté vers un futur auquel on aspirait, par rapport à un présent devenu relativement distant, tout en étant conscient, dans le même temps, de tout ce qui se passait autour de soi, sans manifester, spontanément, son enthousiasme comme s'il entendait préserver la joie qui l'habitait d'assister à cette rencontre cinématographique. On ne se sent pas obligé de parler; ainsi, sans dire le mot « Bonjour », sans discuter, sans dire « Merci », la présence pour un moment plein d'attention aura suffi. En effet, on avait atteint, un degré de communication humaine élevé, enveloppé de silence, comme « interdit », si je puis dire, baignant dans une atmosphère chaleureusement accueillante et conviviale à regarder le film. Puis, le voilà, notre personnage, sorti souriant avec une réelle satisfaction d’avoir assisté à la projection "Trespassing Bergman".
Mais le lendemain, le personnage commençait à ressentir, peu à peu, de la peine, comme s'il portait une charge de culpabilisation ou comme s'il ressentait un sentiment amer dû à une séparation.
"Aussi, me permettrai-je de m’exprimer, librement, sur un tel sujet quand d’autres gens n’y verraient qu’un exercice de style, fait pour entretenir une quelconque justification, vainement. Mais si c'est du cinéma, celui-ci sera, non moins, expressif, tout de même, intimement lié à la vie relationnelle, intersubjective d'ordre psychosociale...En fait n'est-il pas question, encore, et toujours, d'une conscience de soi qui s'éveille ou qui se manifeste chez une personne, avec un peu ou beaucoup, de la vision approfondie des rapports humains, d'Ingmar Bergman? »
https://youtu.be/l8DwxXAot-E
« Bergman island », réalisé par Marie Nyreröd, est le dernier film qui a clôturé les journées cinématographiques organisées à Alger, en hommage à Ingmar Bergman, où celui-ci est filmé dans sa résidence sur l’ile de Farö. La réalisatrice examine, attentionnée et compréhensive, les conditions de vie, les habitudes, les moments plaisants, les lieux préférés, et les occupations quotidiennes réparties suivant un planning rigoureux établi par le cinéaste. Celui-ci est amené, ainsi, tout le long de la conversation à se découvrir et à se prêter à quelques confidences avec un certain détachement, non sans l’expression d’une émotion imperceptible, parfois, marquée de silence, sur sa vie personnelle et familiale, et à relater avec tant de passion des anecdotes sur son métier.
Des extraits de documentaires relatent les conditions de tournage de certains films, tel « Le septième sceau ». Au fur et à mesure du dialogue des rétrospectives bien agencées au déroulement du film; comme cette montre que Bergman a présenté et a dit l’avoir hérité de son père. Puis la discussion l’entraine à parler de son attachement affectif à la pendule du patrimoine familial, qu'il décrit avec force détails et avec tant d'amour; quand la réalisatrice enchaine en montrant des extraits de films rappelant l’horloge dans « Cris et chuchotements » , et dans« Fanny et Alexander ».
Il relate également comment il a pu acquérir, dès sa prime jeunesse, son premier appareil de projection et qu’il évoque dans sa réalisation filmique par le biais d’ Alexander lors d’une projection en présence de Fanny , d’autres faits semblables: telle cette vision vécue réellement durant son enfance où Alexander caché sous une table de la salle de séjour regarde une statue, dont le bras bouge ,mettre la main sur son propre sein; mais aussi d’autres scènes : les anniversaires, les réunions familiales, les diners de fête pleins d’allégresse, accompagnés de chants, suivis de rondes joyeuses, l’émerveillement sous l’éclat de la lumière de « la magie du verbe » associé à des images surréalistes, ouvrent des issues insoupçonnées étonnants au déroulement du film dont les plans minutieusement cadrés s’enchainent et coulent de source. La perte d’un être cher, son propre papa, le déroulement de l’enterrement selon les rites bien établis. Mais, il y a aussi cette punition cruelle, la fessée brutale et sanglante qui rappelle l’atmosphère de l’enfance et la relation parentale et familiale dans Fanny et Alexander.
Ingmar Bergman à travers une certaine démarche autobiographique apparentée à une autoanalyse par le biais d’une narration d’ordre psychanalytique expose les faits comme pour une sublimation d’un désir enfoui ou le dépassement d’un traumatisme encore indéterminé, mais avec un certain détachement où la dérision et l’humour accompagnent l’action. Aussi, la démarche est implicitement freudienne où le rêve joue un rôle catalyseur non négligeable dans la poursuite de l’activité. Rappelons-nous la montre sans aiguille rêvée par le docteur qui ressurgit dans la réalité, quelques jours plus tard, dans la main de sa mère; surpris par la ressemblance parfaite avec l’objet tiré de la boite à souvenirs. Montage de coïncidences, de liens surnaturels, de la magie, du fantastique et de l’étrange pour exprimer le sentiment d’un être, son désarroi, son anxiété, sur le chemin d’un certain examen de sa propre conscience.
Les objets montrés en gros plan ou cadrés avec insistance dans le film ont souvent un lien avec la vie de l’auteur et prennent une dimension symbolique ; ce qui donne à la réalisation l’allure d’un témoignage d’une époque. Le décor ainsi établi avec minutie à la base d’ un travail sur la mémoire, en partie, donne à la mise en scène une signification riche et puissante qui conforte les différents champs, le travelling et les gros plans des objets et ceux des visages, notamment, et met en relief, dans un mouvement harmonieux, l’expression de l’émotion et des pensées des personnages aux reflets implicites de la vie personnelle de l’auteur apportant ainsi une dimension esthétique et poétique vivante à l’image, au rythme d’une musique classique de compositeurs tels Jean Sébastien Bach ou Mozart.
A l’âge de dix ans Ingmar B visite le théâtre, pour la première une fois ; rentré chez lui, il ne s’en remettra plus jamais : c’est le coup de foudre.
Car, si le décor est bien étudié, la mise en scènes rigoureusement établie dans le film c’est parce que l’auteur du film « le silence » fut surtout un homme de théâtre.
Ingmar Bergman est un homme de théâtre qui produit un cinéma inventif personnel.
Aussi, rappelle-t-on que durant sa vie, Ingmar s’est marié 05 fois. On compte parmi ses épouses deux actrices, Liv Ullmann, et Bibi Anderson. Lui parlant de celle-ci, dans le documentaire, il reste, durant un moment, silencieux, puis il avoue que la maturité chez lui est venue à un âge tardif. Il reste toutefois définitivement attaché à Ingrid Rosen qu’il perdra en 1995.
Bergman parle de la mort et de l’existence de dieu dans un langage cohérent, avec prudence et simplicité.
Comme il s’attendait bien à ce qu’on lui pose la question au sujet des démons ; il sort de sa poche un papier préparé qu’il déplie. Il lit et cite les différents démons, auxquels il doit faire face, au quotidien, un à un : le démon de la catastrophe, celui de la peur, celui de la colère, celui de la ponctualité et de l’ordre…
Le diable qui ne le concerne pas, dit-il, est celui du néant. Car chez lui la créativité ne tarit jamais.
Au-delà de de ses craintes, de ses peurs, de ses angoisses: la passion de jeu, comme un enfant, à faire des films, reste intacte
Sa résidence et différents lieux de Farö sont hantés par l’histoire de la réalisation de ses films.
La réalisatrice atteste de la disponibilité, toujours actuelle, de l’auteur de « Sonate d’Automne », à jouer le jeu dans la salle de projection de sa résidence, où en levant les bras, et en claquant les doigts, il adresse un signe au projectionniste de relancer le film comme si nous regardions le documentaire en sa présence.
Il montre la place préférée où il aime rester à la maison, étendu sur une petite plate-forme construite comme un bloc de soutien rectangulaire agencé au mur, qu’il utilise comme divan, d’où il regarde, à travers les grandes fenêtres qui lui font face, avec un verre de vin à portée de main, à perte vue, la mer. Pour Bergman, le pouvoir de l’image cinématographique est sans limite, dans la pensée et le regard, au reflet du cheminement d’une destinée et un imaginaire foisonnant, sous le rythme des flots qui interfèrent souvent dans les péripéties de l’histoire de ses films , non comme un passage intermédiaire divertissant, mais une issue de secours nécessaire intégrée à l’expression d’un état d’âme et des sentiments, comme cette grande étendue marine qui berce ses rêveries dans l’éclat éternel du firmament.
Voir un extrait du film en cliquant sur le lien suivant : https://youtu.be/6jLoxuHjY2I
Prologue au sujet de la présence du public :
On a relevé, durant les journées du cinéma commémorant le centenaire d’Ingmar Bergman, une fausse note : la faible présence du public.
Les films étaient programmés, pourtant, dans deux lieux différents attrayants et accessibles à tous: au centre-ville, à la cinémathèque pour les films traduits ou sous-titrés en français et à Ryadh el Feth, à la salle Ibn Zeidoun pour les copies d’origine, sous-titrées en arabe.
N’aurait-il pas fallu associer l’Education nationale et l’Enseignement supérieur et prévoir au moins des discussions thématiques à partir des projections de films d’Ingmar Bergman à l’école, à l’université ?
Et, n’est-ce pas salutaire que de donner, ainsi, vie au musée du cinéma, en faisant participer les jeunes en les sensibilisant à étendre et à approfondir, davantage, au-delà des méthodes routinières, la Connaissance?
On entendra notre cinéphile s’adresser à ses camarades ;
« Dites-moi, quand est-ce qu’on pourrait se voir pour prendre contact avec la direction de la cinémathèque et organiser une séance ciné-club autour du film « Le septième sceau » de Ingmar Bergman?
« Demain, à 10 h à la cafétéria habituelle, ça vous va ? » « Ok ». « C’est noté ».
Au revoir
Fouad Boukhalfa